Galop d’essai dans les glaces pour Le Commandant Charcot
Après la réussite de ses sorties en mer norvégienne en avril 2021, et les tests de propulsion au Gaz Naturel Liquéfié, un procédé totalement innovant, Le Commandant-Charcot, premier navire d’exploration polaire hybride électrique, est rentré dans le vif du sujet : direction le nord-est du Groenland, à moins de 1000 km du pôle Nord, afin d’effectuer ses premiers essais pour valider ses capacités et ses performances glace.
À bord du Commandant-Charcot, outre les équipes PONANT, était présent l’ensemble des partenaires qui ont œuvré à la construction du navire : du chantier naval norvégien VARD SOVIK à la société d’ingénierie finlandaise AKER ARCTIC qui en a conçu la coque, en passant par VIKING chargée de l’organisation de ces essais « glace ». Des essais qui, pour tous, constituent une véritable consécration, l’aboutissement de six ans de travail.
Cap sur Belgica Bank !
Le 11 juin, au petit matin, la coque du Commandant-Charcot caresse ses premières glaces… Parti quelques jours plus tôt de Tomrefjord, en Norvège, en passant par Longyearbyen, au Spitzberg, le bateau est en chemin pour rejoindre Belgica Bank, le long des côtes du nord-est groenlandais. C’est là, après avoir soigneusement étudié la zone que Le Commandant-Charcot trouvera la meilleure densité de glace. De la glace dure de première année, ni trop épaisse ni trop fine, soumise à peu de mouvements. Il s’agit d’« un site recouvert d’une large banquise côtière, ce qu’on appelle la fast ice, explique Mathieu Petiteau, Directeur des Constructions Neuves, Recherche & Développement. Ce type de glace offre une surface assez uniforme, sans trop de zones de compression.”
Des tests grandeur nature pour naviguer dans les glaces en toute sécurité
Sur la route vers Belgica Bank, la traversée de quelques floes1 a laissé entrevoir à l’équipage du Commandant-Charcot les formidables capacités du navire. D’excellentes premières sensations qui suscitent déjà l’admiration des commandants expérimentés face au comportement du bateau, entre puissance et souplesse : « cette traversée nous a permis de faire les réglages de la propulsion à pleine charge, avant d’entamer les essais de performance glace proprement dits », explique Matthieu Petiteau. Et le 15 juin au matin, c’est le jour J. « Des relevés bathymétriques nous ont permis de définir une zone d’eau profonde pour y effectuer nos essais en sécurité tout en restant en dehors des eaux territoriales groenlandaises ».
Pour commencer, Le Commandant-Charcot est d’abord soumis à une série d’essais de vitesse dans des épaisseurs de glace oscillant entre 2 et 2,7 mètres, ainsi que des passages de ridges2 de près de 10 mètres. Résultat : une puissance qui dépasse largement les normes requises, garantissant une sécurité maximale. Puis, débarquées sur la banquise en toute sécurité, les équipes d’AKER ARCTIC prennent le temps de prélever des carottes de glace pour en évaluer avec précision épaisseur, salinité, température et résistance. L’occasion également de tester les ICE CUBE, ces kits de campements innovants permettant « à l’ensemble de l’équipage et des passagers de rester en autonomie complète pendant plusieurs jours dans un milieu extrême », explique le commandant Marchesseau. « On est prêts et préparés à tout ! ».
Le 18 juin, le bateau quitte Belgica Bank pour remonter vers le Nord, à la recherche d’un floe plus imposant. « Au programme, se souvient Matthieu Petiteau, des essais en marche arrière, le passage d’un ridge de 15 mètres de profondeur et 3 mètres de haut, sans aucun doute le plus impressionnant que nous ayons fait, et pour finir des essais SRTP ». Soit le principe de sécurité n°1 du Safe return to port : tout a été doublé sur le navire – extinction incendie, passerelles de commandement, salles des machines… – afin de permettre au Commandant-Charcot de se sortir de toutes les situations. Une journée riche en émotions… et couronnée de succès !
Des mesures de vibrations ont également été effectuées tout au long des essais pour répondre aux normes de confort des passagers à bord. “J’étais bluffé par le confort à bord. On se serait cru en pleine mer. Il a une très bonne tenue”, précise le Commandant Marchesseau. Grâce à son tirant d’eau de 10 mètres, ses stabilisateurs anti-roulis utilisés en eaux libres, et sa coque brise-glace spécialement designée par Aker Arctic pour correspondre aux exigences d’un navire de croisière, Le Commandant Charcot est particulièrement stable, et le premier bateau à coque renforcée de type brise-glace équipé de stabilisateurs intégrés.
Le 21 juin, l’équipage décide alors de faire route vers le nord du Spitzberg pour un test d’endurance au cœur d’une glace plus froide et plus dure. Un test à l’issue duquel commandants et officiers de la compagnie PONANT prennent les choses en main pour effectuer quelques tests de manœuvres dans la glace. “Nous avons beaucoup appris sur la navigation dans les glaces avec les quatre capitaines suédois et norvégiens d’Aker Arctic présents à bord”, explique Patrick Marchesseau.
L’art de la navigation polaire et durable
Avec le pôle Nord, le nord-est du Groenland compte parmi les zones polaires encore méconnues. Côté français, il y a bien eu au début du XXe siècle cette expédition menée par le Duc d’Orléans avec le capitaine belge Adrien de Gerlache de Gomery sur La Belgica ! Mais dans l’ensemble, « très peu de bateaux s’y sont aventurés », note le commandant Etienne Garcia. Pour lui comme pour le commandant Patrick Marchesseau, c’est un rêve qui se réalise… et un privilège.
Le privilège de découvrir une région d’une fantastique richesse biologique avec notamment la présence de polynies : ces étendues d’eau libre entourées par la banquise sont autant d’oasis marines pour tout un écosystème aussi précieux que fragile.
Hors de question évidemment pour Le Commandant-Charcot de venir perturber ces incroyables lieux de vie. C’est donc avec une extrême vigilance que l’équipage s’émerveille à distance devant les ours, les morses, les phoques barbus et annelés, les narvals et autres baleines franches du Groenland. “L’extraordinaire puissance du navire sert uniquement de réserve pour pouvoir assurer la sécurité de tous. Nous ne naviguerons jamais à pleine puissance et nous ne nous engagerons pas dans la banquise côtière pour ne pas fragiliser cet écosystème vital pour la faune et les populations inuites en Arctique”, précise le Commandant Marchesseau, “nous naviguerons dans les chenaux libres entre les plaques disloquées de banquise dérivante”. “Grâce à nos batteries électriques, nous pourrons naviguer en mode zéro émission. Nous composerons avec les éléments avec la plus grande humilité et nous nous ferons le plus discret possible pour que la nature nous réserve ses surprises”, complète le Commandant Garcia. Comme cette rencontre avec une ourse curieuse et son ourson venus saluer l’étrave du Commandant Charcot ou l’observation, à proximité du navire, d’un autre spécimen poursuivant son chemin entre les plaques de banquise, indifférent à la présence du navire.
Le logiciel de routage glace Adrena conçu spécialement pour Le Commandant Charcot sera également un allié essentiel pour calculer la meilleure route possible et minimiser l’impact sur l’environnement.
Le privilège encore de venir croiser aux larges de ces terres isolées où se sont établis, il y a un millier d’années, les descendants des premiers hommes venus de Russie via la Béringie, pont terrestre de l’âge glaciaire entre la Sibérie orientale et l’Alaska, devenu depuis le détroit de Béring. Restent encore aujourd’hui dans le nord et nord-est du Groenland des vestiges de cette civilisation de Thulé, mère de tous les Inuits canadiens actuels.
Sciences et consciences
Solide bateau d’expédition polaire capable de naviguer dans les glaces et de débarquer ses passagers en toute sécurité, Le Commandant-Charcot compte bien s’inscrire également dans l’histoire de l’exploration scientifique grâce aux laboratoires de recherches embarqués. Ces essais « glace » ont été l’occasion de « poser le premier jalon de la collaboration entre PONANT et le domaine de la recherche académique », explique Vladislav Sidorenkov-Duprez, Responsable de site pour les Constructions Neuves. « Avec l’installation sur Le Commandant-Charcot du Sea-Ice Measuring System (SIMS), nous avons pu mesurer tout au long du trajet l’épaisseur de la glace avec une précision de 10 cm. Des relevés qui seront mis à disposition de la communauté scientifique via une base de données en libre accès. » D’autre part, en collaboration avec le Laboratoire d’Océanographie et du Climat, le LOCEAN-Sorbonne Université Pierre et Marie Curie, « nous avons installé une caméra stéréoscopique capable de filmer en 3D les blocs de glaces tout autour du navire afin d’en étudier leur géométrie », précise-t-il.
Belle entreprise, donc, que cette alliance entre scientifiques et experts de la navigation polaire à bord du Commandant-Charcot, conçu dès l’origine comme navire d’opportunité scientifique. Des opérations testées et approuvées, auxquelles les futurs passagers pourront prendre part lors de sessions de sciences participatives. L’occasion unique d’éveiller les consciences sur des questions essentielles telles que les interactions entre atmosphère et océan ou encore sur le rôle fondamental de la cryosphère3. “Aucun navire de recherche français n’a cette capacité glace. C’est une opportunité unique pour faire progresser notre connaissance sur la glace et les milieux polaires”, conclut le Commandant Marchesseau.
Bilan de ces essais « glace » ? Une réussite à tous les niveaux, saluée par l’ensemble des équipes qui ont hâte de prendre la mer pour partager leur enthousiasme. Prochaine étape, le dry run… la formation des chefs d’expédition à la reconnaissance de la glace avec deux chasseurs Inuits embarqués !
(1) Fragment de glace de mer en forme de radeau plat.
(2) Crête de compression.
(3) Ensemble du compartiment glace de la Terre, qui comprend les grandes calottes glaciaires de l’Antarctique et du Groenland, les glaciers de montagne et la banquise.
Embarquez pour le paradis blanc
Découvrez l’art de naviguer dans les glaces à bord du Commandant Charcot