À la rencontre des gardiens des trésors méditerranéens

D’îles en huiles

Qu’elles soient grecques ou croates, les îles des deux pays s’imposent comme les fiers dépositaires des huiles d’olive parmi les plus délicates au monde. Si l’olivier a pour origine la Méditerranée orientale, c’est en Grèce antique qu’il a commencé à être cultivé, qui est aujourd’hui le plus important pays producteur du bassin méditerranéen. L’oléiculture y remonte à près de 4000 ans, introduite par les Phéniciens. On les appelle athinoelia, mastoidis, adramitini, amygdalolia ou encore kalamata. Mais au royaume de l’huile d’olive grecque, les koroneikis règnent en maîtresses. Ces petites olives à la couleur vert vif et à l’arôme fruité ont fait la renommée du régime méditerranéen. De l’île de Crète aux îles Ioniennes, elles sont les fruits précieux d’oliviers cultivés au rythme de gestes immuables, à la faveur d’un climat idéal et de terroirs variés. De la récolte au pressage, tout se fait en famille. Mais point de secret des dieux : c’est bien souvent avec plaisir que l’on vous ouvre la porte, le temps d’une dégustation d’huile d’olive accompagnée d’une simple tranche de pain.

En Croatie, si elle reste encore méconnue, l’huile d’olive profite d’une histoire tout aussi séculaire, héritage de la colonisation de ses îles par… les Grecs ! On pense alors au merveilleux jardin d’oliviers millénaires du petit village de Lun, sur l’île de Pag : plus de 80 000 oliviers sauvages se détachant d’un paysage de pierres balayé par les vents. Et comme en Grèce, la culture de l’olive est une affaire de famille. On cueille à la main et l’on presse le jour même pour une huile de très haute qualité, à l’instar des huiles d’olive vierges extra des îles adriatiques de Krk, Solta, Cres ou Korcula, toutes auréolées du statut AOP. 

Vins de la Méditerranée : in vino veritas !

À l’instar de l’antique locution latine, les vins grecs et croates comptent parmi les plus anciens. Ainsi, sur l’île de Tinos, beauté sauvage des Cyclades accrochée aux pentes de la montagne de Kechrovouni, le petit village d’Arnados vous attend pour un fascinant voyage dans le temps. Sous ses pentes, en effet, la jolie cité dissimule un entrelacs de passages souterrains datant du XIV^e siècle. Voies d’évasion en temps de guerre, lieux de stockage et écuries en temps de paix, cet incroyable réseau fait désormais office de cave à vins, celle de la Ballis Winery. Un lieu unique à visiter pour s’imprégner de cette époque médiévale aux traditions authentiques. Traditions que la maison Ballis s’évertue à transmettre à travers ses vins, délicats assemblages de cépages traditionnels locaux (assyrtiko, fileri) et de variétés étrangères (merlot, cabernet, chardonnay). « Quatre étiquettes, deux blanches et deux rouges, à travers lesquelles nous essayons de rester aussi proches que possible du caractère du vin de maison traditionnel de Tinos », explique Christina Tzanakou. Acidité et tanins élevés, parfums et arômes singuliers de bois et de fruits. « À l’image des Tiniotes qui entretiennent un lien très fort avec la nature, nous travaillons la vigne en harmonie avec l’environnement, en combinant pratiques traditionnelles et modernes, afin de préserver notre héritage. » 

La Croatie viticole n’est pas en reste avec, dit-on, une liste de cépages autochtones aussi longue que la côte croate. Il y a le teran et le malvazija istarska en Istrie, le babic dalmate de Primosten, le plavac mali de l’île de Brac ou le bouquet distingué du grk et le très aromatique posip, deux raretés de l’île de Korcula, parmi les plus anciens cépages croates. Et puis il y a la plaine de Stari Grad, sur l’île de Hvar,  où les Grecs, encore eux, apportèrent au IV^e siècle av. J.C. tout leur savoir-faire viticole sur ces terres agricoles hautement fertiles, désormais classées au patrimoine mondial de l’Unesco. Depuis, les vignobles continuent de tapisser l’antique plaine, délivrant des vins parmi les meilleurs de Croatie.

Le miel, douceur et parfum au naturel

Des olives, du raisin… et des abeilles ! Dernier élément du sacro-saint triptyque méditerranéen, le miel grec s’est imposé au fil des siècles comme un ingrédient incontournable de l’identité culturelle du pays. Mystérieusement doré et sucré, il était dans l’Antiquité la nourriture des dieux de l’Olympe, cette « ambroisie » à laquelle Zeus goûta des mains de la nymphe Mélissa, ce doux nectar dont Éros enduisait la pointe de ses flèches. Aristote y voyait le fruit d’une rosée céleste recueillie sur les fleurs par les abeilles, au petit matin. Avant lui, Hippocrate louait déjà la divine substance pour ses vertus antiseptiques et cicatrisantes, ainsi que pour ses hautes valeurs nutritionnelles. Riche de son incroyable biodiversité et de son climat ensoleillé, la Grèce apparaît comme un paradis pour des abeilles qui peuvent à leur guise y butiner pins et sapins, châtaigniers et orangers, mais aussi bruyère, sauge et thym. De forêt ou de fleur, le miel grec est l’un des plus raffinés au monde et l’un des piliers de la gastronomie du pays. Il accompagne ainsi souvent le célèbre yaourt grec, enrobe baklavas et loukoumades mais apporte aussi saveur et douceur au stifado, ce plat typique de viande mijotée. 

Troublante résonance là encore avec la Croatie, où le miel compte également parmi les trésors culinaires incontournables de ses îles. Peut-être un leg d’Ulysse qui, lors de sa longue odyssée, aurait fait escale sept années durant sur celle de Mljet… Reste que, comme sur les îles grecques, les abeilles ont ici l’embarras du choix en matière de plantes et fleurs aromatiques. On ne vante plus la qualité exceptionnelle du miel de romarin de Scedro et de Solta, ou encore le miel de lavande de Hvar. Mais on peut aussi y découvrir des douceurs plus insolites, telles que le miel d’arbousier de Korcula. Un miel d’hiver à l’agréable amertume, prisé des grands chefs en cuisine et reconnu pour ses vertus médicinales. Il fait la fierté de la Dalmatie, de Korcula… et de Vlaho Komparak, apiculteur – et oléiculteur – bio, qui travaille dans la tradition et le respect de l’environnement et de ses ancêtres, au gré des arbres et des plantes sauvages qui poussent autour de chez lui. N’hésitez pas à lui rendre visite : ses dégustations sont toujours très instructives.

L’artisanat grec et croate, le reflet de l’âme méditerranéenne

C’est également entre les mains des femmes et des hommes grecs et croates que s’est façonnée l’âme de la Méditerranée. Entre les mains des marbriers de la ville de Pyrgos, sur l’île de Tinos, ou entre celles des tailleurs de pierres blanches de l’île de Brac, au large de Split : deux royaumes de pierre dont les savoir-faire ont traversé le temps et l’espace, diffusés à travers le monde, de disciples en disciples. Ce sont également les artisans du feu de l’élégante Sifnos, au sud-ouest de l’archipel des Cyclades. Une poignée de céramistes qui, en ouvrant encore les portes de leurs ateliers, perpétuent cet art millénaire et raffiné. Ce sont aussi et enfin les dentellières de l’île de Pag dont les mains adroites manient l’aiguille avec précision depuis des générations, continuant ainsi de tisser l’histoire d’un artisanat populaire et délicat. Peut-être plus surprenante encore, la dentelle d’agave fabriquée avec dévotion par les nonnes d’un monastère bénédictin sur l’île de Hvar : une pratique rare et exigeante dont les sœurs bénédictines demeurent les seules gardiennes.

En Grèce comme en Croatie, agriculteurs, éleveurs et artisans se donnent ainsi les moyens de maintenir en vie leurs traditions, leur héritage. Tenants de savoir-faire séculaires, aller à leur rencontre, comprendre leur histoire, c’est participer à la sauvegarde et à la transmission de ces trésors du patrimoine culturel de l’humanité.