Explorer l’océan Austral pour mieux comprendre les évolutions climatiques
Enseignant-chercheur à l’École Pratique des Hautes Études (EPHE-PSL), Johan Etourneau étudie le climat du passé afin de mieux anticiper les changements climatiques à venir. En janvier 2022, il a embarqué avec son équipe à bord du Commandant Charcot pour effectuer des prélèvements dans l’océan Austral. Une première collaboration vouée à se poursuivre.
Que représente l’opportunité d’embarquer sur Le Commandant Charcot pour un scientifique ?
L’opportunité unique de suivre en continu, sur plusieurs mois, plusieurs années, l’évolution du climat, des écosystèmes et leur environnement dans une région difficile d’accès, l’Antarctique. Étant donné que les missions scientifiques sont très souvent limitées à moins de deux mois, l’embarquement régulier de chercheurs à bord du Commandant Charcot offre la possibilité d’y mener des activités récurrentes et d’enregistrer certains paramètres physiques, chimiques et biologiques qui ne peuvent être réalisés qu’à bord d’un navire.
En outre, la France ne disposant actuellement pas de brise-glace, les opérations dans certaines régions couvertes de banquise sont quasi impossibles, sauf dans le cadre de collaborations internationales. Grâce au Commandant Charcot, nous pouvons désormais explorer de nouvelles zones qui ont été très peu étudiées jusqu’à présent, avec de nouveaux moyens.
En quoi l’Antarctique est-il un terrain d’étude particulièrement intéressant pour étudier le climat du passé ?
Nous ne disposons à ce jour que de très peu d’informations concernant l’océan Austral. Or, nous savons qu’il joue un rôle capital dans l’évolution du climat global et des écosystèmes. Les données satellites ne couvrent en effet au mieux que les dernières décennies. Celles enregistrées par les différentes bases scientifiques ou lors des campagnes océanographiques ne permettent de remonter qu’aux années 1950.
Obtenir des enregistrements sur les derniers siècles, les derniers millénaires, voire au-delà, nous permet de mieux anticiper son évolution future et les conséquences qui en découlent.
Nous avons besoin d’acquérir un maximum de données sur l’océan Austral, que ce soit des données de température, de salinité, des échanges entre l’océan et l’atmosphère, y compris gazeux comme celui du CO2, et de comprendre comment la vie marine, jusqu’à l’échelle microscopique, s’organise saisonnièrement, quelles sont les espèces qui la composent, et comment tous ces éléments se sont imbriqués au cours du temps.
Vous participez régulièrement à des campagnes océanographiques en mer. En quoi les prélèvements en mer sont-ils particulièrement significatifs ?
Étant donné les changements climatiques rapides auxquels nous faisons actuellement face, il est urgent d’effectuer des prélèvements dans l’ensemble de la colonne d’eau, de sa surface aux fonds marins, afin de réaliser un inventaire le plus précis possible avant qu’il y ait des modifications trop profondes du milieu. La collecte d’archives sédimentaires marines vient compléter ce tableau puisqu’elles permettent la reconstruction de l’ensemble de ces paramètres dans le passé et, in fine, de faire le lien avec l’actuel.
Quels résultats avez-vous déjà obtenus lors de vos précédentes recherches ?
D’après les données et enregistrements que nous avons acquis, nous savons que de nombreux changements climatiques et environnementaux se sont produits naturellement en Antarctique au cours des derniers millénaires. L’étendue du couvert de glace n’est pas toujours restée la même au cours du temps, ni les températures océaniques et atmosphériques qui ont connu de très fortes variations, de l’ordre de plusieurs degrés.
Nous savons également que les écosystèmes ont probablement été très sensibles à ces variations, même si on ignore précisément de quelle manière. Nous avons aussi montré que les plateformes flottantes qui protègent les glaciers antarctiques ont été largement impactées par ces modifications comme en péninsule Antarctique où le réchauffement des températures de l’océan a été un élément fondamental dans le recul des plateformes de Larsen au cours des derniers 8000 ans. Cette succession d’événements est probablement le résultat de multiples forçages qui peuvent parfois prendre leur origine dans des régions lointaines, comme le phénomène El Niño dans le Pacifique équatorial.
Dans le contexte des enjeux actuels autour du réchauffement global de la planète, en quoi étudier le climat du passé peut-il nous éclairer sur l’avenir ?
Si nous parvenions à établir un lien précis entre toutes les composantes du système climatique dans l’océan Austral, nous pourrions améliorer les sorties de modèles climatiques utilisés et affiner ainsi les projections pour le futur. Mesurer l’impact sur les plateformes flottantes d’un réchauffement passé de l’océan de 1 °C nous permet de mieux estimer son impact sur l’élévation du niveau marin par exemple.
Comprendre comment certaines communautés phytoplanctoniques se sont adaptées aux changements du couvert de banquise dans le passé nous permettrait de mieux comprendre comment celles-ci pourraient réagir à un fort recul ou une avancée de la glace de mer. Par effet de cascade, cela nous permettrait d’en déduire quelles seraient les modifications de l’habitat de certaines espèces emblématiques de l’Antarctique telles que les manchots, les phoques et les baleines.
Un navire équipé pour la recherche scientifique
Le navire d’exploration polaire Le Commandant Charcot est équipé de deux laboratoires de recherche. L’équipe de Johan Etourneau a pu réaliser des échantillonnages d’eau de mer grâce à un système de filtration, ainsi que des mesures de température et de salinité grâce au thermosalinographe installé à bord. “Il existe de manière générale un très fort potentiel pour déployer sur Le Commandant Charcot de nombreux instruments à l’avenir, tels que des incubateurs, des fluorimètres, des capteurs… qui permettront de mener des analyses directement à bord”, précise Johan Etourneau.
Crédits photos : © Studio PONANT / O. Blaud
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