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traversée de l’Antarctique

Laurence de la Ferrière

Une pionnière, dotée d’une curiosité sans limites

Laurence de la Ferrière est une aventurière hors norme. Son amour de la liberté l’a poussée à explorer les plus hauts sommets de la planète et le plus grand désert polaire : l’Antarctique. En 2000, elle devient la première et la seule femme au monde à avoir traversé intégralement l’Antarctique en solitaire. Retour sur une vie de tous les extrêmes…

Comment s’est révélée votre passion pour la montagne et les glaces ?

J’ai découvert la haute montagne vers 18 ans à l’occasion d’un stage d’alpinisme sur le versant italien du Mont Blanc. Ce fut une révélation et une passion contre laquelle il m’était impossible de lutter. Les glaces se sont imposées bien plus tard ! L’intensité de mes expéditions était proportionnelle au mal être que je ressentais profondément. Je me suis battue en montagne pour gagner ma liberté d’exister tel que je l’entendais.

Comment relève-t-on le défi d’une traversée de l’Antarctique en solitaire ?

Si la haute montagne est un monde « vivant » car il y a des populations, des animaux, des insectes … L’Antarctique est le plus grand désert du monde, le plus extrême en termes de température, de froid, d’épaisseur de glace … La vie au cœur du continent y est impossible.

La clé est de comprendre qu’il n’est pas question de s’imposer, mais de tenter d’apprivoiser cet environnement, le temps d’une traversée, et mettre de la vie là où il n’y en a pas. Oublier très vite tout ce que l’on croit savoir, pour apprendre différemment, complice avec les éléments si violents qu’ils semblent cruels et parvenir à établir une harmonie improbable, d’une richesse infinie.

Femme tirant un traineau sur la neige

Comment a évolué votre relation avec cet environnement durant la traversée ?

Les premiers jours, je comptais mes pas. 10 foulées, puis je m’arrêtais le temps de reprendre mon souffle, et je recommençais, 10 foulées à nouveau … Avec 150 kg à traîner et 3000 km à parcourir, cela pouvait raisonnablement être considéré comme mission impossible. Le vent était contre moi, la température terriblement basse (-55°C). J’ai tout pris brutalement en pleine figure, sans jamais douter d’être à ma place. Alors, j’ai oublié l’objectif final pour apprécier chaque mètre parcouru, chaque heure passée comme une fin en soi, des victoires intermédiaires qui un jour me mèneraient au but. En acceptant le froid, j’ai appris à vivre avec. Le vent a gonflé ma voile et les kilomètres ont défilé.

Poids plume

“Lire est une de mes activités favorites mais je devais limiter le poids au maximum. J’en étais à découper les marques de mes vêtements et autres équipements pour gagner quelques grammes, alors j’ai compté sur mon imagination pour compenser …”

N°0107_©StudioPONANT_Morgane Monneret

Comment votre corps a-t-il réagi ?

Très souvent je n’avais aucune visibilité. Les premiers jours dans le white out, j’avais l’impression de me fracasser contre un mur blanc. Puis j’ai entendu des sons auxquels je n’avais jamais prêté attention. J’ai vu au-delà du regard, pour comprendre le terrain sur lequel j’avançais et contre toute attente, je suis parvenue à me sentir en sécurité. En fusionnant avec la nature, je suis devenue cet animal de l’Antarctique auquel je fais souvent référence.

Je n’ai jamais eu la tentation d’abandonner, y compris dans les moments les plus difficiles. Mais en prenant conscience de mes limites, j’ai appris à les dépasser. Dans le plus grand désert du monde, la solitude est devenue l’occasion d’un voyage intérieur d’une intensité sans équivalence …

Qu’est-ce que cette traversée vous a-t-elle appris ?

Lorsque j’ai démarré cette traversée, je pensais être parfaitement préparée et entraînée. En réalité, la première semaine fut d’une violence inouïe. Le poids du traîneau, cet immense inconnu devant moi, la solitude, les premières gelures … Je n’ai eu d’autre choix que d’accepter l’insuffisance des connaissances que j’avais accumulées au fil des années. Un jour, je me suis assise sur mon traîneau, hurlant de désespoir, les larmes gelants derrière mon masque, désespérée de me sentir si faible … C’est ainsi que je me suis libérée du stress lié à l’idée de ce qu’aurait dû être cette expédition, pour développer une autre manière de considérer ma progression sur la glace.

Rencontre avec Pipaluk Ostermann, native du Groenland

Avez-vous vécu un moment qui illustre particulièrement bien cette sensation ?

Un jour, alors que les conditions étaient (presque) parfaites, peu de vent, une neige praticable, le soleil donnait à la glace une luminosité magique … j’ai eu le sentiment de faire partie d’un tout, en contact intime avec l’univers. Une dimension spirituelle extraordinairement puissante à travers laquelle j’ai compris le sens de la liberté et le droit d’exister sans avoir à me justifier, ni à répondre à des dictats qui ne me correspondaient pas. C’est le chemin que j’ai choisi et je ne l’ai jamais regretté.

Comment cela a-t-il changé votre regard sur le monde ?

De l’égocentrisme fondateur, constructif et nécessaire, je suis passée au bonheur de l’altruisme et du partage …

Pour en savoir plus

  • Seule dans le vent des glaces, publié chez Robert Laffont en 2000
  • Alpissima, publié chez Robert Laffont en 2007
  • Au coeur du continent blanc, publié chez Gallimard Voyage en 2020

Crédits photos : © Laurence de la Ferrière

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