Rencontre avec Laurence de La Ferrière, Tiina Itkonen et Kate Leeming
En 2023, dans le cadre de la campagne Femmes aux pôles initiée par Le Cercle Polaire, trois exploratrices polaires ont embarqué sur une croisière PONANT en Antarctique pour partager leurs exploits hors du commun avec les passagers et avec les lecteurs du magazine Escales.
Pourriez-vous présenter votre parcours, vos plus grandes expéditions ?
Laurence de La Ferrière : J’ai découvert l’univers de la montagne par hasard, j’avais 18 ans. À cette époque, c’était très difficile pour une femme de participer à une expédition dans l’Himalaya, il a fallu que je me batte pour me faire accepter. Puis suite à une profonde remise en question, j’ai décidé de descendre des montagnes pour m’élancer seule dans le plus grand désert du monde… l’Antarctique. Je n’avais pas imaginé un jour devenir exploratrice polaire : c’est une succession d’expéditions qui, un jour, m’ont amenée à traverser l’Antarctique.
Tiina Itkonen : J’ai voyagé au Groenland pour la première fois en 1995… Je suis tombée amoureuse de sa nature et des gens là-bas. Depuis je m’y rends régulièrement pour photographier les paysages polaires et le quotidien de ses habitants. J’ai parcouru plus de 1 500 km en traîneau à chiens, bateaux de pêche, hélicoptères le long des côtes du Groenland.
Kate Leeming : J’explore le monde sur mon vélo. Je suis la première femme à avoir parcouru la Russie ainsi. J’ai par ailleurs réalisé une expédition de plus de 25 000 kilomètres à travers toute l’Australie.
À ce jour, j’ai dû parcourir une distance équivalente à plus de deux fois la circonférence de la planète.
Quel est votre plus gros challenge en tant qu’exploratrice ? L’aventure dont vous êtes la plus fière ?
Laurence de La Ferrière :Sans aucun doute la traversée en solitaire de la partie la plus inaccessible de l’Antarctique, près de 3 000 km entre le pôle Sud et la base Dumont d’Urville. Une plongée dans l’inconnu où je me suis sentie tiraillée entre deux sentiments : entre l’effroi face au froid, au vent, aux crevasses, à la solitude… et l’exaltation de pouvoir mettre les pieds là où personne ne les avait encore posés. C’est un sentiment incroyable. J’ai dû apprendre à tracer mon chemin dans un monde qui ne voulait pas de moi.
Tiina Itkonen : Mon premier défi a été de réussir à combiner ma maternité et mes longs voyages au Groenland. Sinon, ma plus belle aventure a été mon récent projet photo auprès des chasseurs inuits, autour de leur quotidien et leurs moyens de subsistance et comment leur vie est affectée par le changement climatique. J’ai donc suivi des chasseurs à travers les mers de glace, à traîneaux tirés par des chiens, parfois pendant plusieurs jours. J’ai rapidement eu mes doigts et orteils gelés, mais j’ai survécu !
Kate Leeming : Quant à moi, c’est probablement mon expédition en Afrique, que j’ai traversée d’ouest en est, du Sénégal à la Somalie. C’était une première et une aventure qui a changé ma vie en me permettant de mieux comprendre comment m’intégrer dans ce monde. Désormais, je me prépare au plus gros challenge de ma vie : la première traversée de l’Antarctique à vélo. Un territoire qui m’est encore totalement étranger et pour lequel je me suis déjà beaucoup entraînée. Au Groenland, au Canada, en Islande, au Svalbard, jusque sur la Terre de la Reine-Maud, en Antarctique.
Comment avez-vous vu évoluer la présence des femmes dans le domaine de l’exploration polaire ?
Tiina Itkonen : Si autrefois, l’exploration polaire restait exclusivement l’apanage des hommes, je suis ravie d’observer que les femmes sont désormais de plus en plus nombreuses à se lancer dans l’aventure. Un changement important, c’est certain, survenu il me semble il y a environ 10 ou 20 ans.
Kate Leeming : Oui, c’est clairement en train de changer. Aujourd’hui, elles sont nombreuses à avoir accompli des exploits extraordinaires, prouvant leurs capacités physiques et mentales à affronter ces environnements difficiles. Et je suis convaincue qu’il y a pour les femmes encore beaucoup de choses à accomplir et d’endroits à explorer.
Laurence de La Ferrière : Étonnamment, les femmes sont aujourd’hui relativement présentes dans le domaine de l’exploration polaire. Du moins, par rapport à ce que j’ai pu observer dans l’Himalaya qui demeure très masculin… Dans les pôles, qu’importe le genre, on est tous aussi « crazy » les uns que les autres pour oser y aller. J’ai en tout cas eu le sentiment d’y être acceptée non comme une femme mais comme un être humain qui avait le droit de s’exprimer dans cet environnement. Je perçois l’Antarctique comme un immense miroir qui reflète la réalité de l’humain. Comme le symbole d’un monde meilleur en particulier vis-à-vis des femmes.
En quoi était-ce important pour vous d’être présente sur ce navire PONANT pour participer à l’opération Femmes aux pôles ?
Laurence de La Ferrière : C’était une occasion justement, de parler de l’Antarctique en tant que femme. Et je trouve qu’il y a une manière intelligente tant sur le plan humain qu’environnemental d’envisager l’approche de cette région. L’opération Femmes aux pôles en fait partie. C’est la meilleure manière de sensibiliser sur le sujet.
Tiina Itkonen : J’étais de mon côté très honorée d’avoir été conviée à rejoindre la campagne. C’était un réel plaisir de me retrouver parmi ces aventurières, scientifiques, anthropologues, photographes. J’aime partager mes expériences aux pôles, parler de la vie quotidienne au Groenland, éveiller les consciences quant à cet environnement et au changement climatique… Peut-être que mon expérience pourra inspirer d’autres femmes à suivre leurs rêves également.
Kate Leeming : C’était d’abord pour moi une grande opportunité d’explorer la péninsule Antarctique où je n’étais encore jamais allée. Une façon d’apprendre encore et encore. Et d’autre part, une occasion de rencontrer d’autres personnes toutes aussi inspirées par ces terres de l’extrême, d’échanger avec elles des idées et peut-être de les aider à voir le monde un peu différemment.
Quel message souhaiteriez-vous faire passer auprès des jeunes femmes exploratrices ?
Tiina Itkonen : Suivez votre coeur !
Laurence de La Ferrière : Osez ! Osez rendre l’impossible possible. C’est en osant qu’on arrive à mettre en lumière toutes les capacités qui sont en nous.
Kate Leeming : Les expéditions polaires comptent sans doute parmi les aventures les plus éprouvantes. Si les femmes peuvent y réussir en tant qu’exploratrices, ce sera un grand exemple pour tous. Pas seulement pour les femmes, pour les hommes aussi. Une façon de reconnaître nos forces mais aussi nos faiblesses, de nous y confronter et de les dépasser.
Crédits photos : ©Studio PONANT-Olivier Blaud
Laissez-vous envoûter par la magie des pôles