Les secrets des gardiens du Darién
Loin du fracas des écluses du canal de Panama, au cœur de la jungle du Darién se murmure une autre histoire : celle du peuple Emberá qui vit au rythme immuable de la forêt et porte sa culture à même la peau. Récit d’une rencontre, sous l’œil conquis de Margot Sib, photographe à bord des navires PONANT EXPLORATIONS durant plusieurs années.
Aux portes du parc national du Darién
Au petit matin, le navire glisse en silence vers la côte. Des îlots rocheux et volcaniques percent la surface immobile de l’océan. Autour, le silence. La province du Darién est un monde à part. C’est ici que la mythique route Panaméricaine s’efface, littéralement avalée par une muraille de jungle impénétrable. C’est dans ce sanctuaire de biodiversité que les Emberá ont préservé leur culture, un monde de rites et de savoirs intimement lié aux esprits de la forêt. Pour la photographe Margot Sib, ce premier contact est un choc visuel et émotionnel. Une évidence : « C’est un autre monde. »
Le parc national du Darién, sanctuaire indompté
Pont terrestre entre deux continents, le parc national du Darién est un sanctuaire où les faunes et flores d’Amérique du Nord et du Sud se rencontrent. Cette barrière de jungle, le fameux « Bouchon du Darién », interrompt la route Panaméricaine. Classé par l’Unesco, il protège une biodiversité unique et les cultures autochtones qui y vivent selon des rythmes et des savoirs ancestraux.
Quand la forêt prend vie
Le rivage se dessine lorsque le navire approche d’une longue plage de sable noir, adossée à la forêt. À terre, la vie surgit soudain. Les hommes du village d’abord, les torses nus et les corps marqués de dessins à l’encre bleutée, vite rejoints par les femmes et les enfants qui s’avancent depuis la lisière du bois dans une farandole de couleurs : paréos aux motifs éclatants à la taille (parumas), cascades de colliers autour du cou (chaquiras). Leurs sourires sont à la fois timides et chaleureux. « La rencontre est naturelle, confie Margot. Il y a chez les Emberá une sincérité profonde. »
Emberá : le corps, miroir de l’âme
La beauté est partout, simple et signifiante. Glissées dans les chevelures sombres des femmes, des touches écarlates : des fleurs d’hibiscus tout juste cueillies. Au-delà de l’ornement, l’expression de leur féminité et du lien vivant qui les unit à la forêt. Puis le regard descend, attiré par les mystérieuses arabesques noires dessinées sur la peau des hommes comme des femmes. Ce sont, apprendra plus tard Margot, des motifs tracés à l‘encre de jagua. Un langage silencieux, une carte sacrée qui raconte l’identité de celui qui les porte, et un bouclier spirituel contre les mauvais esprits.
Le jagua, l’encre vivante de la forêt
Cet art corporel porte un nom : le Kipará, symbole de l’équilibre entre le spirituel et le terrestre. Issue du jus d’un fruit, le jagua, l’encre est appliquée à l’aide de bâtons de bois. Elle s’oxyde au contact de la peau pour créer des dessins d’un noir bleuté. Éphémère, cette seconde peau protectrice dure une à deux semaines, affirmant le lien de l’individu à sa communauté et à l’univers.
Des regards et des rires
Au milieu des enfants qui jouent et des aînés qui observent, le premier réflexe serait de saisir son appareil photo… Une erreur. Pour recevoir une vérité, il faut d’abord savoir s’effacer, laisser le temps faire son œuvre. C’est le secret de Margot Sib qui, avant de déclencher, préfère « observer la lumière, les gens… ». Elle se souvient notamment de ces « moments de bonheur partagés avec quelques fillettes », de leurs éclats de rire, insouciantes, au bord de l’eau. C’est de ces instants de pure complicité que naissent les plus belles images. Celles que l’on ne prend pas mais que l’on vous offre.
C’est la rencontre la plus authentique que je n’ai jamais faite. J’ai été prise d’une émotion très forte, épatée par leur gentillesse et leur générosité.
Margot Sib
Au cœur d’un village Emberá
Un petit chemin de sable mène au cœur de la vie communautaire, là où les femmes préparent le repas. Où les parfums du poisson grillé se mêlent à ceux des bananes plantains. Plus loin, un espace est dédié aux rituels : les jeunes filles y partagent des danses en hommage à la nature et au jaguar, animal sacré. Se dégage de cette vie de village une belle harmonie au cœur de laquelle on trouve le Noko, le chef chargé de veiller sur l’équilibre du clan. À ses côtés, le Jaibaná, le chaman-guérisseur, dialogue quant à lui avec les esprits – les jai – afin d’apaiser les maux et protéger la communauté.
De mère en fille
Gardiennes du savoir ancestral, les femmes sont le cœur battant de la société Emberá. Elles sont les premières garantes de la langue, des mythes et des rites qu’elles transmettent aux enfants. Mais c’est de mère en fille que se lèguent les secrets de l’artisanat… Leur maîtrise du tressage ou de la peinture corporelle se veut l’expression vivante de cet héritage qu’elles sont chargées de perpétuer.
Le don du partage
Au-delà des lieux et des rituels, c’est l’attitude des Emberá qui marque durablement. « Ce sont des personnes très ouvertes », note Margot. Loin d’une posture figée pour le visiteur, c’est une fierté sincère qui les anime lorsqu’ils partagent leur mode de vie, expliquent la signification de leurs dessins corporels ou la symbolique de leurs danses. Une générosité qui n’est pas feinte, mais qui est le cœur même de leur culture.
Un héritage à préserver
Pour préserver leur mode de vie face à la modernité, les Emberá ont opté pour un écotourisme maîtrisé. Une ouverture au monde choisie et mesurée dont l’artisanat est l’un des piliers : masques finement tressés, sculptures polies en bois de cocobolo et petites figurines en ivoire végétal deviennent autant de passerelles propices à la rencontre et à l’échange. Car ce savoir-faire offert au visiteur protège un quotidien qui, lui, se contente de l’essentiel, de ce que lui offre la nature. « C’est important d’être le témoin de cette autre manière de vivre et de la partager ! »
Crédits photos : ©StudioPONANT-Margot Sib
Cap sur le Darien
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