Rencontre Serge Guiraud, ethnographe
Serge Guiraud, ethnographe et réalisateur de documentaires, est spécialiste des populations amérindiennes d’Amazonie. Il a notamment étudié pendant trois ans la relation exceptionnelle que ces peuples entretiennent avec « l’au-delà ». Sur place, il encourage les populations locales à se réapproprier, à préserver et à transmettre leurs patrimoines culturels en documentant elles-mêmes en image leurs pratiques et leurs cérémonies.
A son retour, il partage son expérience en image et intervient régulièrement en tant que guide-naturaliste sur les croisières d’expédition PONANT. Percez certains des secrets des peuples d’Amazonie, en plongeant avec cet expert au cœur de la majestueuse et fragile forêt tropicale.
Quelles traditions illustrent particulièrement bien les mystères des sociétés amérindiennes en Amazonie ?
J’ai séjourné une année chez les Yawalapiti du Xingu au Mato Grosso. Une relation privilégiée s’est nouée avec certaines personnalités, amicale ou parfois conflictuelle. Au cours de ces séjours, j’ai accompagné la totalité du cycle funéraire. De la mort jusqu’à la levée de deuil. Étant bien souvent seul étranger dans le village, je « participais » aux différentes étapes qui bornent cette période particulière : discussions quotidiennes à la tombée du jour dans la maison des hommes, cures chamaniques, préparatifs des cérémonies, séances de peintures corporelles, sorties en forêt, pêches rituelles, etc…
Mes informateurs m’ont guidé dans le décryptage de tous ces évènements et m’ont enseigné les mythes. En écrivant ces quelques lignes, me viennent en mémoire deux épisodes étranges, au moins pour un non-Yawalapiti.
Le premier s’est déroulé dans la maison des hommes. Après chaque chorégraphie, le « maître de cérémonie » a la responsabilité d’offrir de l’alimentation (bouillie de poisson et manioc) aux participants. Alors que cela faisait des mois que je participais à ces banquets, Aritana, le grand leader, s’approcha de moi et me dit : « tu vois Serge, cette nourriture que nous mangeons, nous la partageons avec des esprits. Tu ne les vois pas, mais ils sont parmi nous. » Il y avait dans ces mots toute la complexité de ces sociétés.
Le second évènement s’est déroulé lors de la pêche traditionnelle à la nivrée qui consiste à battre des lianes pour en dégager un poison destiné à asphyxier les poissons. Les chamans du village eurent un rôle important. Ce sont eux qui entrèrent en contact avec le maître des poissons pour lui demander l’autorisation de pêcher. Les chamans assis sur la berge de la rivière tirèrent sur leurs cigares pour entrer en état modifié de conscience. De retour de leur « voyage » ils jetèrent dans l’eau une substance non identifiée. Après quelques minutes, comme par magie, les poissons sautèrent de toutes parts. Cela signifiait que le maître des poissons autorisait la pêche.
Comment rendre compte de tous ces moments extraordinaires vécus en Amazonie ?
Un ethnologue fait une mission de terrain durant laquelle il observe et note tout ce qui se passe dans la société étudiée. L’ordinaire, comme allumer un feu ou aller chercher de l’eau à la rivière jusqu’aux cérémonies, tout fait objet de notes écrites. De retour chez lui, l’ethnologue analyse les informations et les restitue sous la forme de publications. N’est-ce pas le travail de tout scientifique ? Pour ma part, mon travail passe essentiellement par la captation d’images (photos ou films). C’est ce que l’on appelle de l’anthropologie visuelle. Cela ne m’exonère pas du travail d’écriture. Chaque année au moins un film est présenté au public.
L’édition de livres et d’articles est un moyen d’atteindre un public différent et aussi de développer certains concepts anthropologiques. Dans mes publications une large place est réservée à l’iconographie.
Quel est l’aspect le plus fascinant de la culture amérindienne en Amazonie ?
Ce qui m’intéresse dans les cultures amérindiennes se sont les relations qu’elles entretiennent avec l’invisible. Ce qui est un comble pour un photographe ! Les sociétés amazoniennes, comme d’autres dans le monde, constituent des collectifs composés bien plus que par des humains. On y trouve les animaux, les plantes, le ciel, les étoiles, les montagnes, les rivières, etc… et toute une légion d’entités surnaturelles. En Occident on interprète cela comme : « vivre en harmonie » avec l’environnement. En réalité, les relations sont plus complexes. J’ai vu des amérindiens abattre un arbre juste pour en cueillir les fruits.
Cet univers peuplé de surnaturel peut s’avérer dangereux pour les humains. Il faut donc confier à des spécialistes, des chamans, le rôle d’intermédiaires et de médiateurs avec les esprits. La vie des individus est sans cesse perturbée par ces entités. Elles sont capables d’inoculer une maladie ou d’entraîner la mort. Il est nécessaire de les amadouer en offrant par exemple de grands banquets pour s’attirer leurs bonnes grâces.
Ce qui est fascinant, c’est précisément d’observer comment ces sociétés qui ont accès à « notre quincaillerie » continuent dans un contexte de profondes mutations à percevoir le monde de façon singulière et comment elles sont capables de se rénover ou de se réinventer.
Que peut-on observer de commun entre les différents peuples d’Océanie et d’Amazonie ?
« L’habit ne fait pas le moine ! » Nous connaissons la signification de cette expression populaire. Peut-on l’appliquer à bord d’un navire de croisière ? Rien n’est moins sûr. À première vue on sait distinguer un marin d’un passager, le commandant d’un mécanicien. Dans les sociétés tribales, la peau est également le marqueur d’une identité, d’un statut social, d’un état passager (naissance d’un premier enfant, deuil, maladie). En fait, recouvert de motifs et d’ornements corporels, le corps affiche l’identité d’une personne.
Lors des rencontres avec les populations mélanésiennes ou aborigènes d’Australie, la première impression qui influence notre jugement est le degré de nudité. Plus le corps est dévêtu, plus notre perception authenticité est élevée. On sait maintenant qu’il n’en est rien. Toutefois, je trouve passionnant de découvrir comment des collectifs façonnent l’individu pour l’intégrer en son sein. Dans de nombreuses sociétés, un enfant qui vient au monde n’est pas considéré comme un être humain à part entière. Pour accéder à ce statut, il se doit de passer par un processus que l’anthropologie désigne par « la fabrication du corps ». Non seulement l’enfant reçoit un ou plusieurs noms, mais aussi des ornements et des peintures corporels spécifiques à son âge et à son sexe. Dans les premières années de sa vie et parfois plus tard encore, il est soumis à des épreuves : les rites de passage ». La société laïque n’accorde que peu d’importance à ces rites de passage, ce qui engendre un vide social.
Photo credit: © Serge Guiraud & © Servane Roy Berton
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