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Gardien du “roi des phares” : une mission pas comme les autres

Rencontre avec le gardien du phare royal de Cordouan

Situé à l’embouchure de l’estuaire de la Gironde, à huit kilomètres des côtes françaises, le phare de Cordouan est reconnu comme l’un des plus beaux du monde. C’est aussi le dernier phare en mer à être encore habité de façon permanente. Pierre Cordier, l’un des six gardiens, nous raconte son quotidien et sa passion pour cet édifice.

Gardien de phare, c’était une vocation pour vous ?

Pas du tout ! Je n’y avais jamais pensé. Je suis géographe de formation, et j’ai longtemps travaillé comme guide-interprète. J’ai eu le déclic en 2016, en lisant une annonce dans le journal. Je pensais que c’était une blague… mais je me suis renseigné, par curiosité. Quand j’ai appris qu’il s’agissait de travailler à Cordouan, j’ai eu envie d’y aller. Pour la beauté du site, évidemment. Mais aussi pour son aspect touristique. Le phare accueille des visiteurs d’avril à octobre, et c’est un aspect essentiel pour moi. Cela permet de toucher les gens, de raconter l’histoire de ce lieu magnifique.

Comment se passe votre quotidien ?

Nous sommes six gardiens à occuper le phare : deux toute l’année, plus deux en hiver et deux autres pendant la belle saison, avec des rotations d’une ou deux semaines. Notre métier, c’est d’entretenir les lieux et de vérifier que tout fonctionne bien. Nous habitons au rez-de-chaussée : c’est là que se trouvent les chambres, la cuisine et la salle des machines. Au-dessus, il y a l’appartement du roi, la chapelle, la salle des lampes… Des espaces historiques sur lesquels nous avons la mission de veiller.

Et l’approvisionnement ?

Ce n’est pas la nourriture qui manque ! Le phare est sur un grand plateau rocheux, l’Estran, qui se dévoile à chaque marée et qui contribue à la richesse des espèces. Nous pêchons des mulets, des bars, des crabes et des huîtres. Et puis, à chaque relève, on nous apporte les courses.

Êtes-vous complètement coupés du monde ?

Pas vraiment. Nous avons Internet et le téléphone. Et nous ne somme qu’à quelques kilomètres de la côte. Disons que nous sommes « en dehors du monde », mais pas totalement déconnectés. Nous recevons aussi beaucoup de visites : les touristes en été, et les ouvriers en hiver quand ils viennent faire des travaux de restauration.

Quelle est la particularité de Cordouan par rapport aux autres phares du monde ?

Cordouan est absolument unique. C’est l’un des plus vieux phares du monde. C’est le seul à posséder une chapelle. Il présente aussi une architecture remarquable, de style Renaissance, avec des éléments baroques comme les colonnes et les chapiteaux. Et surtout, c’est un phare historique. Il a été construit en 1611, pendant les guerres de religion entre les protestants et les catholiques, dans un territoire qui se souvenait encore de la domination anglaise. Avec Cordouan, la France affirmait à la fois son pouvoir politique et l’hégémonie du catholicisme dans la région.

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Le phare est en lice pour être classé au patrimoine mondial de l’Unesco. Qu’est-ce que ça changerait pour vous ?

C’est une question de reconnaissance internationale. Être classé permettrait d’attirer l’attention sur l’importance de la conservation et de la restauration des phares de France. Dans certains pays, tous les phares sont identiques. Nous, nous bénéficions d’une impressionnante diversité architecturale qu’il faut préserver. En revanche, il n’y aura pas forcément plus de visiteurs, car nous voulons continuer à accueillir le public dans les meilleures conditions.

Quel genre de touristes recevez-vous ?

Il y en a de toutes sortes : des gens de la région et de partout en France, des étrangers, des familles ou des retraités. Certains sont de vrais érudits, avec des grandes connaissances en architecture, en histoire ou en navigation. C’est toujours un plaisir d’échanger avec eux.

Quel rapport entretenez-vous avec l’océan ?

Je suis né et j’ai grandi sur la côte vendéenne. Mais je ne suis pas du tout marin, contrairement à d’autres gardiens. J’ai beaucoup voyagé, j’ai habité à l’étranger… et puis j’ai eu envie de revenir tout près de mes racines. Ici, on vit avec les éléments. Nos journées sont rythmées par les marées et par l’état de la mer. On travaille avec et dans l’océan.

On vous présente comme les “derniers gardiens de phare en mer” : quel sentiment cela vous procure-t-il ?

J’espère qu’on ne sera pas les derniers ! On a conscience d’être privilégiés. En Bretagne, il y a de nombreux phares, tous plus beaux les uns que les autres, mais beaucoup sont à l’abandon… C’est dommage. À Cordouan, nous avons la chance de pouvoir contribuer à la conservation d’un édifice unique au monde.

Y a-t-il un souvenir que vous aimez partager ?

Je n’oublierai jamais la première fois que je suis arrivé au phare. Il y avait beaucoup de brume, on ne voyait pas le bâtiment. Et puis, on l’a découvert d’un seul coup, à quelques centaines de mètres devant nous. C’était impressionnant. Il y avait même un phoque qui m’attendait sur les rochers ! Ici, quand il y a de la brume, c’est exceptionnel. On monte au sommet du phare et on est au-dessus des nuages. Magique.

Crédits photos : ©Dominique Abit, ©Manuel Cohen.

À propos de Cordouan…

  • Le phare de Cordouan a été allumé pour la première fois en 1611, un an après la mort du roi Henri IV.
  • Sa hauteur actuelle est de 67,5 mètres, contre 37 mètres à l’origine. Son rehaussement, effectué en 1790, est considéré comme une prouesse technique pour l’époque.
  • En 1862, Cordouan est classé monument historique, la même année que Notre-Dame de Paris.
  • La portée maximale de sa lampe est de 19 milles marins, soit 35 km.
  • Cordouan a connu une présence humaine ininterrompue depuis sa mise en service.
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